Voici plus d’un siècle, S. Freud crée une méthode unique, novatrice, surprenante, d’accès aux formations de l’inconscient comme de la conscience. Cette méthode ne cesse depuis d’être universellement pratiquée, avec toujours le même intérêt, la même pertinence, les mêmes étonnants bénéfices. Aucune autre science dite exacte ou dure ne peut, sur une telle durée, se vanter d’une même stabilité !
Cette méthode, nommée psychanalyse, s’ordonne encore aujourd’hui aux quatre prérequis, déduits dans l’après-coup de l’expérience d’alors: un simple appareil, une écoute ; un simple objet, la libre parole ; une simple clause, le temps du désir ; un simple but, la recherche d’une vérité.
Une telle logique permet qu’une psychanalyse ait lieu et qu’elle ait sa direction ; elle se soutient d’un contrat symbolique par lequel un psychanalyste et un analysant entendent passer à l’éthique du désir, pour permettre au sujet de s'autoriser à n'avoir plus peur de son aliénation à laquelle il sait enfin pouvoir renoncer.
De cette logique méthode, de remarquables et complexes mais singuliers effets sans cesse résultent, qu’élaborent, conceptualisent, corrèlent et théorisent ensuite celles et ceux qui, devenus psychanalystes, s’engagent à en concevoir une œuvre scientifique ; science qu’ils soutiennent comme telle, d’un savoir faire et donc d’un faire savoir ; science qu’ils mettent à l’œuvre en intention autant qu’en extension ; science dont ils souhaitent la lecture critique, quand elle ne se fait toutefois qu’à partir d’éléments définis en fonction d’un même champ théorique et conceptuel ; comme en témoignent exemplairement : par son retour à S. Freud, les lumineuses découvertes de J. Lacan, par leur rejet de S. Freud, les obscurs dénis des Schwärmereien : des noirs S1.
Schwärmereien : ce mot, nué d’un certain romantisme germanique, désignait aussi en Allemagne pour la dénoncer, l’abjection nazie. Pouvons nous dès lors ne pas suspecter d’outrance voire d’outre-âge, la complaisance morbide de ces noirs essaims à s’attarder contre nous, à ce que qui compute, ampute, suppute, répute comme députe ?
Garons nous de leurs obsessions, de leurs scélérats desseins, de leur obsidienne phallocentricité. Nous, nous ne voulons devoir ce que nous devenons, qu’aux maîtres que nous nous donnons : notre filiation prend ainsi consistance symbolique d’une dette, dont nous nous honorons par la transmission d’un certain savoir, c’est-à-dire en étant à notre tour désir, du désir de savoir de nos impétrants.
De nos maîtres nous poursuivons donc les travaux ; et ce, non seulement en sachant avec précision ce qu’ils soutiennent en clinique comme en théorie, mais en y adjoignant aussi ce qu’ils auraient pu ne pas manquer d’être et qu’ils laissaient déjà entendre : à nous d’en faire écoute et savoir ; faute de quoi, notre jouissance, dépouillée de savoir, s’inscrirait dans l’inconsistance de l’inflation phallique. De ne jamais conclure alors, cette jouissance ne cesserait pas de ne pas s’écrire par un plus-de-jouir, seul capable de sacrifier les phallus à loisirs. Un savoir faire peut par contre procéder d’un tel sacrifice, pour se faire savoir.
Encore que pour ce faire, il ne saurait se réduire à une quelconque technique. Celle-ci n’est jamais par elle-même qu’improductive jouissance ; elle ne peut s’évaluer pour valoir, qu’à l’aune d’un plus-de-jouir, soit : à la production d’une plus-value, qui ne saurait être voulue, que comme un en-plus de savoir ; ce dernier est autre chose qu’un semblant technique, qu’un rabais formel, qu’un succédané d’analyse ne se targuant plus que d’être un phallus, dont aucune plus-value, aucune « guérison de surcroît » notamment, ne peut être attendue.
Pour un sujet de désir, pour un subversif sujet donc, qu’est-ce qu’un faire-valoir dans notre Libre Association, sinon une psychanalyse personnelle dûment menée à son terme, lequel fait savoir ? Quel est le signifiant du sacrifice d’un phallus et de sa jouissance, sinon le contrôle, lequel ne se soutient que d’être dûment mené jusqu’à la production d’un savoir-faire, qui soit savoir, mais de surcroît ? Faire savoir et savoir faire, ne rendent-ils pas toute impasse impossible, au sujet devenu psychanalyste ? La pratique n’en est que mieux soutenue : être libre, ce n’est donc en rien devenir un furieux.
La psychanalyse ne se limite plus à une élite, et les symptômes dont elle s’occupe ne sont plus seulement ceux des névrosés ; son intérêt se porte certes toujours sur le sujet singulier, mais son extension embrasse désormais le champ social – ses liens, ses tensions, ses conflits, ses troubles politiques, ses traumatismes, etc. – , s’élargit aux troubles de la personnalité – psychiatries, pharmaco-pathologies, toxicomanies, délinquances, violences, etc. - , et investit la tour de Babel des langues de l’informatique et de la communication qui, en toute logique, sont exclusives du sujet de l’inconscient. Il lui faut donc trouver des théories et des concepts nouveaux ; il lui faut aussi chercher à définir avec soin et précision ce que nos maîtres en soutiendraient aujourd’hui, dans les textes qui sont encore nos références, mais qu’ils ont élaborés et-ou articulés jadis, dans de toutes autres conditions, de toutes autres données quantitatives et qualitatives, nationales et internationales. Parions qu’ils les concevraient tout autrement. Être libre, ce n’est donc en rien cesser d’être curieux.
Jamais devant une telle montée des souffrances et des périls, des folies et des turpitudes, le remède proposé n’aura été comme maintenant de complètement verser, pour s’y complaire, s’y abîmer, s’y engloutir, dans ce cautère inefficace du maternel, du maternage, du matriarcal ; avec ses fusions, ses rapports ambigus, ses duperies mère-enfant, jamais en psychanalyse, avec la mère veilleuse, il n’a été fait à ce point marche arrière Toute !
Refoulée, que dis-je refoulée : forclose, oui, la fonction paternelle telle que S. Freud puis J. Lacan ont eu le courage de la soutenir dans leur œuvre ! Tout baigne désormais dans le maternel, le vécu, le ressenti, « le senti-mental » confondant percept et idéation; tout trempe donc dans les brumes anglo-saxonnes : la langue n’y connaît d’ailleurs pas de genre masculin ni de genre féminin pour ses substantifs, ses noms ; les genres s’y confondent, la possession seule faisant le bon genre ; ainsi n’y dit-on pas : « la fils de sa mère », ou bien encore : « le fille de son père » ? Tel est le bien faisant rapport du-elle qui, au pays des mères, veille.
Le psychanalyste n’est pas un sociologue ; l’objet ne peut être pour lui que perdu ; et s’il désire l’extension de la psychanalyse, ce n’est donc pas pour lui donner celui de l’assistance sociale qui elle, n’en manque jamais. Ses théories, ses concepts, pour novateurs qu’ils se doivent d’être, ne sont en rien ceux de la socio-psychologie, de la victimographie. Tout ce qui de son savoir fait extension, comme en cure ne peut produire un surcroît, que de se ramener au transfert. Le concept qui vaut signifiant maître de son extension est par conséquent, et comme de juste de nos jours : le transfert. Quels en sont donc aujourd’hui les réseaux, les latéralisations, les diffractions dans le social, en fonction des nouvelles disparités subjectives dues aux psychopathologies nouvelles, aux langues a-subjectives ? Quels en sont les nouveaux savoirs produits ? Quels en sont les imagos objectalisés, les parlers devenus objets ? Quels en sont les divisions déchaînées dans le réel ? Telles sont entre autres les interrogations auxquelles le monde actuel, qui se caractérise très spécifiquement de n’être qu’un monde du transfert, nous presse de répondre.
La mondialisation du transfert, en ses formations symptomatiques, se différencie-t-elle du transfert habituel à notre science ? Non. Le transfert, après S. Freud, après J. Lacan, et dans leur sillage, nous en avons J. Berges et moi-même, dans nos quatre ouvrages fondamentaux, dans de nombreux articles, jeté les bases théoriques, conceptuelles, cliniques et pratiques nouvelles, en montrant qu’en toute logique il ne peut se soutenir que du transitivisme, tel que nous l’avons conçu et défini, et tel qu’en peuvent être appréhendés les supports, qu’ils soient ami-ami, à Donogoo Tonka, ou ailleurs. Quelle qu’en soient la forme et l’extension, il s’origine toujours entre une mère et son rejeton ; mais il ne prend consistance, que de la fonction paternelle, signifiante - et c’en est l’extension princeps - , du manque, donc du désir.
C’est au demeurant pour faire pièce à cette extension, que le sujet croit bien faire en nouant sans qu’y subsiste le moindre jeu, et souvent par des langages qui ne sont plus que des codes, le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire, mais fixés, autour d’un objet a. Leurre borroméen, qui tombe aux lacs d’amour. Les topologistes qui n’ont rien apporté de neuf à la topologie lacanienne, sans cesse ressassée par eux, n’y chutent-ils pas aussi ? Est-ce bien ce à quoi J. Lacan voulait qu’ils ne manquent pas ?
Les implications du transitivisme, au-delà du transfert princeps, concernent tous les concepts de notre science, qui s’en trouve bouleversée. Si les travaux de la Libre Association Freudienne auront à honorer nos maîtres, ce ne sera pas pour s’y ensevelir : ils ne manqueront pas de s’inspirer du transitivisme, pour en poursuivre comme je le ferai, le décollage théorico-clinique qui en découle, qui s’impose à nous.
Être libre, à la Libre Association Freudienne, c’est ne pas manquer dans son transfert de travail, à ce qui en est impérieux.
Gabriel Balbo
Paris, le 1er mai 2006.